ah ! si les athlètes concouraient nu(e)s

On n’a pas fini d’en consommer, des Jeux, jusqu’à l’overdose. Et on n’en est qu’au before, ce relais de la flamme prétendument venu de l’Antiquité grecque, mais qui a une tout autre origine, nettement moins présentable. Que vont-ils nous trouver pour l’after ? Lors des Jeux antiques (strictement réservés aux hommes, athlètes comme spectateurs), qui eux au moins n’étaient pas sponsorisés par une marque de boissons qui concourt à propager mondialement l’obésité et le diabète, les athlètes concouraient nus. Notre mot gymnastique vient du grec gymnos, « nu » !  Pourquoi ne pas reprendre cette saine tradition ? Aucun voyeurisme, dans ce cas, mais plutôt l’exaltation de la beauté corporelle sans hypocrisie et surtout, surtout, aucune marque d’appartenance nationale. Le sport sans cocarde ni drapeau. 

C’était l’bon temps des colonies

QUI est donc ce monsieur peint par Alexis Simon Belle et qui pète dans la soie ?… Né en 1655 et mort en 1738, il s’appelle Antoine Crozat, dont Saint-Simon dira qu’il était « l’un des plus riches hommes de Paris ». Crozat avait une fille,  Marie-Anne, qu’il donnera pour épouse (alors qu’elle a à peine 12 ans) à un aristocrate, Louis-Henri de La Tour d’Auvergne, comte d’Évreux ; l’important dans l’affaire, c’est que le père Crozat mette un pied dans la noblesse et que Louis-Henri empoche une très très belle dot (quand on est endetté, ça ne se refuse pas). Car beau-papa, parmi d’autres activités, dirige la Compagnie de Guinée, créée en 1684 par Louis XIV et l’une des plus importantes sociétés de « commerce triangulaire », locution géométrique qui en cache une autre plus parlante : traite négrière. Précisons que cette compagnie avait pour but de se livrer au « commerce des nègres, de la poudre d’or et de toutes les autres marchandises » sur les côtes africaines.
Crozat, qui habite déjà un hôtel particulier place Vendôme, au n° 17, en fait construire un autre au n° 19 pour sa fille et son gendre. Mais Louis-Henri s’en lasse et, puisant dans la dot, s’en fait construire un autre rue du Faubourg-Saint-Honoré. Après lui, la modeste demeure passera en diverses mains, dont celle de la marquise de Pompadour, avant de prendre le nom de palais de… l’Élysée.

C’est une des histoires édifiantes du récent ouvrage de l’historien et piéton de Paris Pascal Varejka et de la photographe Marinette Delanné Paris, capitale d’un empire colonial… à travers statues, rues, édifices*.

Pour une rue Louis-Delgrès (20e) – républicain qui lutta contre le rétablissement de l’esclavage à la Guadeloupe par l’illustrissime Napoléon Ier –, un quai Aimé-Césaire (1er), un jardin Toussaint-Louverture (20e) –, un jardin Solitude (17e) – esclave guadeloupéenne qui se rebella elle aussi contre le rétablissement de l’esclavage –,

combien de boulevard d’Indochine (19e), statue de Jules Ferry (aux Tuileries) (« Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures« )

Rappelons que son descendant Luc Ferry
n’avait pas été moins brillant
en prononçant en 2012 quelques phrases musicales

monument à Francis Garnier (1839-1873) (place Camille-Jullian, dans le 5e), un « artisan de la pénétration française au Tonkin », comme on le lit sur un site d’histoire

 station de métro Gallieni (né en 1849, mort en 1916, terminus de la ligne 3) : « L’action politique (…) tire sa plus grande force de la connaissance du pays et de ses habitants (…). C’est l’étude des races qui occupent une région, qui détermine l’organisation politique à lui donner, les moyens à employer pour sa pacification (…). »

extrait d’un compte-rendu de lecture à propos de l’ouvrage « Gallieni », de Michel Marc, Fayard, 1989

cité du Général-Négrier (!) (7e), « qui s’est fait connaître par les exactions commises par ses hommes pendant qu’il commandait la province de Constantine dès les années 1830 », écrit Pascal Varejka

buste du général Gouraud (square d’Ajaccio, 7e), 1867-1946

monument à Lyautey

une belle brochette lors de l’inauguration du pavillon néerlandais à l’Exposition coloniale parisienne le 8 mai  1931, dans laquelle on reconnaît (2e à partir de la gauche) Paul Reynaud, ministre des colonies, et en costume blanc impeccable Hubert Lyautey (photo de l’agence Rol – source : Gallica)

rue du Congo (12e). Les auteurs de l’ouvrage ne manquent pas de rappeler une construction bien oubliée, celle du chemin de fer Congo-Océan** (près de 900 km, de 1921 à 1934) « qui a coûté cher en hommes ».

René Maran

Lisez ce prenant  « Paris colonial », vous y découvrirez bien des faits et des noms que vous ignorez peut-être, dont celui de René Maran, pourtant Prix Goncourt en 1921, qui écrivait notamment dans la préface de son livre primé Batouala :
« Au cours d’une interpellation à la Chambre, le ministre de la Guerre, M. André Lefèvre, ne craignit pas de déclarer que certains fonctionnaires français avaient cru pouvoir se conduire en Alsace-Lorraine reconquise, comme s’ils étaient au Congo français. De telles paroles, prononcées en tel lieu, sont significatives. Elles prouvent, à la fois, que l’on sait ce qui se passe en ces terres lointaines et que, jusqu’ici, on n’a pas essayé de remédier aux abus, aux malversations et aux atrocités qui y abondent. »

♠ ♠ ♠

* aux éditions du Petit Pavé, 28 euros

** ne manquez pas de regarder l’excellent documentaire sur France 5 Congo-Océan, un chemin de fer et de sang, disponible jusqu’au 2 juin

 

il y a 69 ans, le meurtre d’Emmett Till

« Emmett Till : comment elle l’a envoyé et comment il lui est revenu. »  Lisa Whittington, 2012.

Arte propose en ce moment sur son replay un documentaire sur le lynchage en 1955 du jeune Emmett Till qu’il serait dommage de ne pas regarder.
Ce meurtre et le procès qui suivit eurent un immense retentissement. Bob Dylan en fit plus tard une chanson :
The Death of Emmett Till.

Emmett Till, 14 ans, un gamin noir de Chicago, est invité en août 1955 par son oncle à venir visiter le Mississippi, où ses ancêtres ont subi l’esclavage. C’est un ado plutôt moqueur, qui ne connaît rien du « Sud profond ».
Dans la bourgade de Money, où réside son oncle, il se rend avec d’autres gamins noirs dans une petite épicerie. Selon eux, et à leur grand effroi, en sortant, il aurait sifflé la jeune femme qui tenait la caisse. Deux jours plus tard, il est enlevé par le mari de la caissière et son frère. Ceux-ci le torturent dans un hangar, sans doute avec des complices et avec la femme, au point de le rendre méconnaissable, puis lui tirent une balle dans la tête et jettent son corps lesté dans une rivière. Celui-ci est vite retrouvé car un pied dépasse de l’eau.
Lors de ses funérailles, la mère d’Emmett exige que son cercueil reste ouvert pour que l’on puisse voir dans quel état son fils lui a été rendu et doit déclouer elle-même le couvercle devant le refus qui lui a été opposé. Cinquante mille personnes auraient défilé devant lui.
Un procès eut lieu dès septembre, ce qui est plutôt étonnant, où les deux frères furent acquittés, ce qui l’est moins, par les douze jurés, douze hommes blancs, que l’on put entendre rire, plaisanter et boire dans la salle où ils se trouvaient. Le procès fut abondamment filmé, et on peut constater qu’y régnait presque une ambiance de fête de village, tout le monde venant donner l’accolade aux deux accusés. 
Lesquels reconnurent plus tard le meurtre sans que cela ait la moindre conséquence pour eux. La femme, Carolyn Bryant, qui est morte il y a juste un an, a écrit des mémoires dans lesquels elle ne montre pas de remords et se présente comme une victime.
Cet événement et la décision de la mère d’Emmett, Mamie Elizabeth, furent pour beaucoup dans la montée de la lutte pour les « droits civiques » et la naissance des Black Panthers.
Quelques mois plus tard, quatre jeunes femmes noires, dont Rosa Parks, refusèrent successivement de laisser leur place assise à des Blancs dans des transports publics.
Avec le meurtre d’Emmett Till, puis l’acquittement des meurtriers, on atteignit le comble de l’abjection.
Faut-il préciser que le président de l’époque, Eisenhower, refusa de faire le moindre commentaire sur cette affaire ?

 

 

à la découverte de Maurice Sachs

Les hasards de l’existence nous ont fait tomber entre les mains un (Livre de) poche de Maurice Sachs, auteur né en 1906 dont nous ignorions tout, jusqu’au nom, intitulé Le Sabbat, à la couverture très sixties présentant une accorte jeune femme coiffée à la mode « garçonne » des années vingt, alanguie, au regard enjôleur et prometteur : sa lecture s’imposait donc.
Ce fut une révélation. Sachs tient à la fois de Casanova pour son côté séducteur et escroc, du Rousseau des Confessions, pour son côté « je bats ma coulpe, et même je me flagelle », lui pour son incapacité à suivre une ligne de conduite honnête, malgré ses multiples résolutions de s’acheter une conduite, et enfin de Saint-Simon pour la galerie de portraits époustouflante des gens qu’il a côtoyés. Dans l’ordre : Cocteau, Gide, Maritain, Max Jacob, Soutine, Pierre Fresnay, Malraux. Presque une encyclopédie de l’entre-deux guerres. Il fut tour à tour séminariste (quelques mois), écrivain, éditeur, galeriste, conférencier aux Etats-Unis, traducteur, toujours charmeur et assez filou…
Son texte s’interrompt en 1939.
Si l’on en croit sa notice Wikipedia, il a très mal fini : indicateur de la Gestapo, puis emprisonné en Allemagne comme droit commun, pour finir par être assassiné en avril 1945 d’une balle dans la tête par un SS lors d’une marche de la mort.
Nonobstant, embarquez-vous pour ce sabbat. 

Larousse-Robert : droite contre gauche ?

Couverture du Petit Larousse 1905, celui qu’a pu consulter Lénine.

Nous avons déjà constaté une certaine pudibonderie de L., qui ne connaît toujours pas la cyprine (qui n’est pour lui qu’une « variété bleue d’idocrase » !) ; et une frilosité certaine par rapport au féminisme : L. n’a reconnu féminicide que longtemps après R. (mais les deux ignorent toujours uxoricide, bien plus pertinent : Robert, encore un effort !).
On se souvient de la polémique picrocholine autour du nouveau pronom iel introduit récemment par R. au grand dam de l’Académie. L connaît le mot anti-ouvrier gréviculture, que R. ne connaît pas. Par contre L. ignore beaucoup de mots du verlan très répandus que R., lui (nous allions écrire iel), connaît : chelou, zarbirebeu. Il connaît seulement meuf. R. connaît lol, mais pas L., à qui cet acronyme doit donner des boutons. Et nous ne parlons pas des définitions. Seulement des entrées. Ce petit passage en revue, très incomplet, mais nous ne recherchions pas l’exhaustivité, livre une tendance : L. plutôt réac, R. plutôt ouvert, ou, si l’on préfère, L. conservateur, R. progressiste.
Il est loin le temps où Lénine donnait le Larousse en exemple et suggérait que l’on en fît un équivalent russe, mais il est vrai que le Robert n’existait pas encore.

Voir aussi notre nombreuse production :
Larousse et le rouquin
pudibonderie chez Larousse ?
Larousse, encore un effort…
le Petit Robert fait sa révo d’octobre

« Du taudis au Airbnb »

sur un mur de Marseille (photo : LSP, mars 2024)

 

Vous en souvenez-vous ? c’était le matin du 5 novembre 2018. 9 h 05, à Marseille, les immeubles des 63 et 65 de la populaire rue d’Aubagne viennent de s’effondrer ; on retirera des décombres 8 morts et 2 blessés.
Quelques jours plus tard, le maître de la ville, Jean-Claude Gaudin, tient une conférence de presse, on en trouve quelques minutes sur Twitter

Vers 50 secondes de la vidéo, le maestro déclare à propos des « immeubles en état d’insalubrité » que , « la plupart du temps », ils appartiennent « à des copropriétés privées, quelquefois même à des marchands de soleil (sic)« .
Il ne fallait pas chercher bien loin de la mairie un spécimen de marchand de soleil/sommeil : Xavier Cachard, alors vice-président (Républicain) de la région PACA tenue par Renaud Muselier ; Le Monde avait révélé que l’un des appartement du n° 65 lui appartenait. Par ailleurs, l’élu-proprio’ était l’avocat du syndic de l’immeuble, amusant non ?
Deux ans plus tard, l’adjointe au logement depuis 2008 tout de même, Arlette Fructus, démissionnera sans omettre de balancer quelques cailloux dans le panier de crabes.

Autre marchand de « soleil », un ancien policier qui officiait dans un centre de rétention administrative : Gérard Gallas louait de l’insalubrité à des sans -papiers et des demandeurs d’asile, clientèle pour le moins captive. Voici ce qu’en disait notamment le site de France Info :

 

sur un mur de Marseille (photo LSP, mars 2024)

     

 
Alors que les immeubles s’effondrent, le commerce international du Airbnb, lui, s’épanouit dans Marseille, privant les habitants de possibilités de se loger, un des effets du tourisme massif.  




Au fait, que veut dire « Airbnb »,
qui vous a un sympathique petit côté R’n’B (rhythm and blues) ?

Wiki’ nous développe ce nom énigmatique : « airbed and breakfast », autrement dit : matelas gonflable et petit-déjeuner.

« Peu après avoir déménagé à San Francisco en octobre 2007, poursuit Wiki’, deux jeunes designers californiens, Brian Chesky et Joe Gebbia, créent la société AirBed & Breakfast (« matelas gonflable et petit-déjeuner » en français), avec pour devise “Partage un logement, économise de l’argent, rencontre des gens sympas”. Le site d’origine proposait la location à court terme de parties d’appartement, petit-déjeuner compris, à destination de personnes ne pouvant pas réserver un hôtel pour cause de saturation du marché.
Ils ont l’idée alors qu’ils habitaient à San Francisco. Ils savaient qu’un congrès de design de premier plan s’organisait dans leur ville, mais que toutes les chambres d’hôtel avaient été réservées. Ils ont alors décidé de louer une chambre de leur appartement avec trois matelas gonflables (air bed), un petit-déjeuner (breakfast) et un accueil local, à quelques étrangers assistant à l’événement. De là est resté le nom Air bed and breakfast. » Et voilà.

Depuis, le matelas a singulièrement gonflé, bourré de pépètes et faisant le bonheur financier de pas mal d’individus, dont celui-ci…

Le breakfast s’est fait la malle, de même que l’accueil « physique », désormais remplacé, notamment à Marseille, par de chaleureuses boîtes à clés, comme celles que vous pouvez voir en illustration d’un article de 20 minutes.

♣ ♣ ♣

Un ouvrage qui vient de sortir, Du taudis au Airbnb, du sociologue Victor Collet, relate avec passion à la fois les désastres des immeubles marseillais délaissés et les effets des agissements du monstre Valisator – les uns étant étroitement liés aux autres –, le tout au son des luttes contre la « requalification » des quartiers populaires.

© Radio France – Julie GASCO


 Valisator, le voici en majesté lors du carnaval militant de la Plaine, un quartier marseillais, en mars 2023, monstre fait de valises, celles des essaims de touristes qui fondent sur les bien pudiquement appelées LCD, « locations courte durée ».

 
« Du taudis au Airbnb », de la Plaine au Panier, d’effondrements en expulsions, c’est un tableau accablant des grandes magouilles et petits arrangements sur le dos d’habitants dont bien des « décideurs » souhaiteraient tant qu’ils aillent voir ailleurs ; le plus loin possible serait le mieux, et si possible avant les JO.

♣ ♣ ♣

  « Du taudis au Airbnb –
Petite histoires des luttes urbaines à Marseille »
de Victor Collet,

aux éditions Agone, 15 euros

 

 

la « préhistoire », cette notion « cocasse »

 

Eleni Prokopiou, Arta dans le très beau film « Les Petites Aphrodites », de Nikos Koundouros (1963), censé se dérouler dans la Grèce « d’avant la civilisation ».

Dans le papier récent du Monde sur les très anciennes gravures ornant les rochers de Fontainebleau, fort intéressant, nous lisons :
« Dans les massifs boisés du Sud francilien, des milliers d’abris rocheux ont été gravés par des humains à la préhistoire. »
La « préhistoire » est un concept et un mot bien commodes, inventés au XIXe siècle.
Le préfixe « pré- » marquant l’antériorité dans le temps ou dans l’espace. La pré-histoire, cela signifie qu’il y aurait une période avant l’histoire elle-même, qui ne serait pas de l’histoire, notion extravagante, « l’une des plus cocasses que l’on puisse imaginer », écrivait en 1949 l’historien Lucien Febvre. « Cocasse », c’est-à-dire « bouffonne ».
Plus de 99,5 % de l’évolution de l’humanité ne relèverait pas de l’histoire, laquelle commencerait donc il y a seulement environ six mille ans, avec la naissance de l’écriture qui permet de connaître le nom de personnages et de dater des faits, les temps antérieurs, a-historiques, tombant dans cet immense fourretout de la « préhistoire »… Étonnante dichotomie.

Le XIXe siècle n’est pas avare de ces notions désormais dépassées qui sévissent encore en notre vingt et unième, comme le « Moyen Âge », autre fourretout, de seulement un millénaire, notion dépréciative, avec son adjectif non moins dépréciatif, moyenâgeux (comme l’était « gothique »), ou les « Gallo-Romains », construction idéologique nationaliste fort prisée par Napoléon III : nos ancêtres ne pouvant être ni seulement Gaulois, ie un tantinet barbares, ni seulement Romains, ie trop facilement assimilés par leur redoutable conquérant, ils devinrent Gallo-Romains, ce qui est plus classe.

En 1989, avec la fin de l’URSS, un essayiste étatsunien, Francis Fukuyama, avait diagnostiqué la « fin de l’histoire », et un développement désormais harmonieux et démocratique de l’humanité, cette anomalie qu’étant l’Union soviétique venant enfin de disparaître. Cette prévision avait fait grand bruit à l’époque. L’histoire n’aurait ainsi duré que six mille ans, une poussière dans la suite des temps. La suite a promptement démenti cette vision idyllique.
Pour notre part, au vu de la situation de l’humanité, divisée en classes sociales antagonistes et par des frontières étatiques absurdes, et dont la grande majorité des membres sont toujours sujets à la peur du lendemain, comme lors du paléolithique et du néolithique, nous serions plutôt enclins à penser que l’histoire n’a pas encore commencé, et que nous vivons toujours dans la… préhistoire. Cette notion prenant un sens nouveau annulant cette dichotomie histoire/préhistoire qui n’a aucun sens.

né(e) sous… Poher (1)

Dans notre série de huit « présidents éponymes », ceux de la Ve République (Sous quelle étoile suis-je née » ? sous Macron !), nous en avions oublié un (merci au commentateur qui signe opportunément « Intérim »), le neuvième donc, Alain Poher, président du Sénat, et à ce titre président de la République par intérim quelques semaines à deux reprises, en 1969, après la démission de De Gaulle (28 avril-19 juin), et en 1974 (2 avril-19 mai), à la mort prématurée de Pompidou. Trois mois en tout, pendant lesquels des milliers d’enfants naquirent. Deux printemps, ceux de 69 et de 74, qui virent l’interruption surprise du cycle septennal et l’irruption d’une situation politique nouvelle, ouverte, la première par une démission, la seconde par une mort, incarnés (éponymisés, pourrions-nous dire) par ce Poher, sénateur, notable et politicien sans relief et vite oublié.

Nous saisissons cette occasion pour évoquer la présidentielle de 1969, originale à plus d’un titre.
Elle intervint après la démission de De Gaulle, qui venait d’essuyer un échec à son référendum qui visait entre autres à la suppression du… Sénat et dont il avait imprudemment annoncé qu’il serait une sorte de plébiscite, la victoire du non entraînant sa démission. Cet événement étant un écho différé des journées de Mai 68.

Poher s’y présenta, comme candidat de centre droit antigaulliste (et surtout comme président d’un Sénat menacé). Il y avait une grande haine contre de Gaulle et sa clique dans l’électorat de gauche et Poher incarna pour beaucoup l’espoir de se débarrasser enfin du « gaullisme », ses barons, ses barbouzes du SAC, ses spéculateurs, sa Françafrique. La CFDT, par exemple, qui avait pourtant à l’époque une image de marque presque « gauchiste », appela à voter pour lui. Même le Canard enchainé le fit, sous le titre : « Pas d’histoires, on vote Poher ». Un seul rédacteur dudit Canard se prononça, lui, pour Alain Krivine, au nom du « droit de rêve ». Car à gauche, il y avait le leader de la Ligue communiste, ainsi que Michel Rocard, pour le PSU, qui passait à l’époque pour un révolutionnaire (!). Pas de candidat d’extrême droite (il y en avait eu un à l’élection précédente, en 1965). Pour la SFIO (« Section française de l’internationale ouvrière », eh oui !), qui n’était pas encore le PS, il y eut Gaston Defferre (le candidat du milieu, comme l’avait dit Guy Bedos), et pour le PCF, Jacques Duclos. La SFIO était exsangue, la gauche n’avait aucune chance, d’où l’espoir suscité par Poher. Mes parents, immuables électeurs de gauche, votèrent pour lui dès le premier tour, à mon dam, moi qui aurais voté Krivine si j’avais eu le droit de vote et qui collai des affiches pour lui.

Poher arriva second au premier tour (23 %), mais loin derrière Pompidou (44 %) et devançant de peu Duclos (21 %), dont le score fut une relative surprise. On était donc passé non loin d’un second tour Pompidou-Duclos, droite-PCF, chose difficile à imaginer de nos jours. Au second, Pompidou écrasa Poher. Une bonne partie de l’électorat PCF s’était abstenue, suivant en cela le resté fameux slogan du PCF « bonnet blanc et blanc bonnet », ie : ces deux candidats incarnant la même politique, on ne se déplace pas, ce qui ne manquait pas de bon sens.

Jacques Duclos avait un passé révolutionnaire. Il était allé en prison en 1926 pour propagande antimilitariste (contre la guerre du Rif, au Maroc). C’était un ouvrier pâtissier, ce qui lui valut les sarcasmes de la droite : comment un ouvrier peut-il prétendre aux plus hautes fonctions ?  Et un stalinien qui épousa tous les virages politiques imposés par Staline. Il fut donc tout à tour antimilitariste puis militariste, internationaliste puis nationaliste, anticolonialiste puis beaucoup moins anticolonialiste, communiste puis stalinien, pourrait-on dire.
De petite taille et replet, il donnait une image bonhomme « de bon père de famille ». Et pourtant, il avait aussi été l’exécuteur des hautes œuvres du PCF, ordonnant l’assassinat des partisans de Trotsky en Espagne (il « supervisait » le PC espagnol dans les années 30) et en France, pendant la guerre (notamment Pietro Tresso, en 1943, un des dirigeants de la IVe Internationale), ou d’opposants au sein du PCF au pacte de collaboration Hitler-Staline, tous vilipendés comme « traîtres ».

J’ai assisté, par hasard, à la manifestation parisienne qui précéda son enterrement, en avril 1975, avenue Parmentier. Ce fut le dernier enterrement massif d’un dirigeant du PCF. Marchais n’eut pas droit à la même pompe. Près de moi, des militants évaluaient la foule à un demi-million de personnes ; moi, j’aurais plutôt dit trente mille, ce qui était déjà pas mal. C’est la propension des staliniens a multiplier par dix systématiquement les chiffres des manifs et donc à faire prendre des vessies pour des lanternes.
J’ai aussi assisté à un meeting avec Duclos. Celui du Cirque d’hiver à Paris, en 1973, appelé par le PCF pour protester contre la dissolution de la Ligue communiste. Les staliniens étaient dans la salle, les gauchistes dehors. Dichotomie habituelle. Duclos avait commencé son discours par cette phrase : « le Parti communiste français est le seul parti révolutionnaire de notre temps ».

Il y aura un « né sous Poher 2 », qui évoquera la présidentielle inattendue de 1974.

 

 

De « steve » aux ganivelles

C’est fou le vocabulaire que l’on apprend lors des réunions de la Commission d’enrichissement de la langue française ! Qui a pour but, rappelons-le, de trouver en tous domaines (culture, environnement, biologie, mode, économie…) des équivalents français – proposés par des experts – à une ribambelle de termes anglais, ces équivalents étant ensuite publiés au Journal officiel. Exemple :

Journal officiel du 23/05/2020
infox, n.f.
Synonyme : information fallacieuse, loc.n.f.
Domaine : COMMUNICATION
Définition : Information mensongère ou délibérément biaisée.
Note : Une infox peut servir, par exemple, à favoriser un parti politique au détriment d’un autre, à entacher la réputation d’une personnalité ou d’une entreprise, ou à contredire une vérité scientifique.
Voir aussi : démystification, démystifier, infodémie, infox vidéo, pouvoir de manipulation.
Recommandation sur les équivalents français à donner à l’expression fake news
Équivalent étranger : fake news (en)
(sur le site France Terme)

Ainsi hier, la Commission, qui se réunit une fois par mois au ministère de la culture, devait examiner des listes concernant l’économie et la finance, puis l’astronomie et la spatiologie. Dans les documents, toujours passionnants, qui avaient été remis aux membres concernant un terme anglais du vocabulaire de la spatiologie, steve, acronyme pour Strong Thermal Emission Velocity Enhancement, un phénomène lumineux atmosphérique visible de nuit. La traduction littérale et mot à mot de l’acronyme (fort-thermique-émission-vitesse-amélioration) ne nous donne guère l’idée de ce qu’est ce strange shimmering ribbon of purple light, un « étrange et chatoyant ruban de lumière mauve », comme le décrit l’Agence spatiale européenne.

Les experts du collège (c’est ainsi que l’on dit) spatiologie avaient ajouté ce commentaire sous leur proposition de traduction (pas encore publiée au JO, patience…) :
Le nom « steve », attribué en 2016 par un groupe de chasseurs d’aurores canadiens de l’Alberta, vient d’un mot utilisé par les personnages du film d’animation « Nos voisins, les hommes » pour décrire un phénomène inconnu.

image extraite de la bande-annonce du film d’animation


Chasseurs d’aurores, c’est aussi beau (et pacifique) que chasseurs de nuages...
 Les experts, souhaitant imager leur propos (les néophytes les en remercient), précisaient que ce phénomène en mauve est « parfois accompagné de bandes vertes appelées “barrières de piquets” à l’image des ganivelles des côtes françaises ».

Nous fixions une longue lumière mauve, et nous voici maintenant les pieds dans le sable, longeant les ganivelles, connaissiez-vous ce mot ?… Littré définissait ainsi la ganivelle :


Les temps et les sens changent, voici maintenant des ganivelles, un peu couchées par le vent

photo : Philippe Ibars

 

Difficile de trouver l’histoire de cet élégant terme… Wiki’ nous dit que la ganivelle est également appelée « barrière girondine » (dans le genre “coussin berlinois”, question assemblage de mots), mais les dictionnaires usuels ne disent rien de son origine. Signalons, dans un autre genre, que « ganivelle » est aussi synonyme de “barrière Vauban”, “barrière Nadar”, ou encore “barrière de police”.

La photo ci-dessus, nous l’avons cueillie sur le site Étymologie occitane, où l’on trouve enfin une explication à « ganivelle » :

 Y penserez-vous quand vous les frôlerez la nuit ces ganivelles bordant les chemins vers la mer, apercevant – qui sait – une longue lumière mauve ?

 

une flamme olympique qui passe mal

Jesse Owens en 1936

Le relais de la « flamme olympique », dont on nous a bien rebattu les oreilles, est une tradition qui ne date pas de l’Antiquité, comme on pourrait le croire, ou voudrait nous le faire croire, avec mise en scène « en costume » à Olympie, en Grèce, mais des Jeux de Berlin de 1936, organisés par les nazis. Lesquels avaient, il est vrai, une grande dilection pour les retraites aux flambeaux, notamment à Nuremberg. Une idée du chef du comité olympique allemand qui avait bien plu à Goebbels.
Ces fameux Jeux lors desquels Hitler refusa de serrer la main du vainqueur du 100 mètres, l’épreuve reine, Jesse Owens (quatre médailles d’or), parce qu’il était Noir !
Il est des traditions dont on se passerait bien.